1331-1391 : Gaston Fébus, roi du Béarn

Le dernier des Moncade mourut sans héritier mâle et, sur son lit d’agonie, légua le Béarn à son gendre, le comte de Foix. La petite vicomté pyrénéenne passa des mains espagnoles aux mains des puissants seigneurs d’Ariège, qui la toisaient jusque là avec un certain dédain. On aurait pu craindre la disparition politique du Béarn dans les innombrables possessions du comte de Foix. Il n’en fut rien : les Béarnais exigèrent que leur pays restât distinct du comté de Foix, et les nouveaux vicomtes leur accordèrent d’autant plus facilement cette faveur qu’ils se piquèrent d’amour pour ce petit territoire montagnard, enclavé dans ses vallées verdoyantes et baigné par ses gaves. La période la plus éclatante du Béarn commença avec l’arrivée au pouvoir du second comte de Foix : le presque mythique Gaston Fébus, qui installa sa cour chatoyante et les deux tonnes d’or de son trésor au château Moncade d’Orthez…
En tant que comte de Foix, Gaston Fébus devait rendre hommage au roi de France, dont il était un des plus puissants vassaux. A chaque fois qu’il se présentait devant le roi Philippe VI, au château de Vincennes, il en imposait par sa stature colossale, sa longue chevelure blonde, dorée, bouclée comme une toison, qui lui avait valu le surnom du dieu du soleil en personne : Fébus. Il était courageux, intelligent, cruel. Souvent violent et impulsif. Il se déplaçait à Paris en grand cortège, accompagné par toutes les Pyrénées : aigles et ours faisaient l’admiration des tristes courtisans du roi, subjugués par le rayonnement de ce prince du soleil qui montait jusqu’à eux, escorté par ses robustes bergers et ses bêtes sauvages. Une montagne en marche, qui venait faire serment d’allégeance au roi pour son comté de Foix…
Pour le Béarn, c’était autre chose. Gaston Fébus le considérait comme sa possession personnelle. A une époque où l’Aquitaine entière était tombée aux mains des Anglais (c’était le début de la guerre de 100 ans), Fébus en profita pour mener une habile politique d’indépendance du Béarn, refusant de rendre hommage au roi d’Angleterre pour sa petite vicomté. Sa proclamation célèbre, grondée bien haut à Orthez et répétée par l’écho des montagnes, résonna jusqu’aux délicates oreilles anglaises : « Je ne tiens le Béarn que de Dieu et de mon épée ! ! ! ». A laquelle il ponctua par sa devise personnelle, également très explicite : « Touches-y si tu l’oses ! ». Le message politique était clair. Les Anglais, qui ne maîtrisaient peut-être pas suffisamment la langue occitane, lancèrent une armée à l’assaut du Béarn et en revinrent clopin-clopant pour expliquer le sens de cette devise à leur souverain. Avec Gaston Fébus, le Béarn ne fut plus une simple vicomté. Pour la première fois de son histoire, il était devenu un pays à part entière, une principauté, complètement indépendante des ducs d’Aquitaine et des rois de France. Si Gaston Fébus n’était que comte de Foix, il était roi du Béarn et en tirait une fierté particulière. Il s’empressa de fortifier son royaume en créant, à chacune de ses frontières, de hauts donjons de pierre (à Montaner, Mongaston, Pau…) chargés de surveiller le Béarn et de contenir l’appétit gourmand de ses voisins. Des douanes fortifiées, en quelque sorte, qui tinrent en respect les convoitises méridionales durant plusieurs siècles…
La cour d’Orthez fut, en pleine guerre de 100 ans, une des plus brillantes d’Europe. On a du mal à imaginer aujourd’hui, devant la dent creuse et délabrée de la Tour Moncade, que cette carie historique fut l’équivalente, au Moyen-Âge, des cours de Paris et de Prague. Gaston Fébus était le prototype du seigneur occitan : guerrier, stratège, et poète à la fois. Il s’entourait de jongleurs, troubadours et ménestrels, et organisait des concours de poésie et de danse pour faire l’animation de ses banquets nocturnes. A la lueur vacillante des flambeaux, il se livrait lui-même à quelques compositions personnelles, comme le célèbre et déchirant « Aqueros Mountanos », véritable hymne pyrénéen que la légende lui attribue à tort ou à raison. Toujours est-il qu’il livra à la postérité une œuvre littéraire de toute beauté, consacrée à sa grande passion : la chasse…