Le Basa Jaun

Le Basa Jaun Toute la Soule est dominée par la silhouette ancestrale du Basa Jaun, le « seigneur sauvage ». En l’apercevant de loin, on pourrait le confondre avec un des derniers ours des Pyrénées. Il se tient debout, légèrement penché en avant. Sa démarche est lente et hésitante, presque boitillante. Il est recouvert d’un pelage touffu, brun et roux à la fois, qui lui protège le corps jusqu’au creux des mains et des pieds. Il est haut, massif, les bras ballants et robustes. De dos, rien ne le différencie d’un ours sauvage. De face, c’est autre chose. Là où on s’attend à découvrir une gueule féroce et plantée de crocs, on est surpris de voir grimacer un visage humain, farouche et hirsute. Ses narines larges et frémissantes se gonflent et se dégonflent sans cesse ; les rides de son front se plissent sous l’action de ses grimaces animales ; son regard sombre et bridé luit au fond de ses arcades sourcilières caverneuses. Il est le Basa Jaun, le Seigneur des montagnes et l’ancêtre de tous les Basques. Il hante les pics décharnés et solitaires des Pyrénées, la forêt d’Iraty, les ravins et les gouffres béants qui bordent les routes sinueuses des précipices. Sa demeure est l’abîme. Il marche au milieu des arbres, escalade les pitons rocheux, descend dans les failles avec souplesse et se glisse dans des grottes préhistoriques inaccessibles aux hommes. Il demeure caché du monde. Seules les traces de ses pattes, trouvées au hasard d’une promenade dans les cimes, permettent de savoir qu’il vit encore sur terre, après des millénaires de règne au fond des cavernes. Et quelles traces ! Des empreintes de sabot, encore fumantes, qui tiédissent lentement dans la rosée et la boue fraîche du matin…
Le Basa Jaun est le protecteur du peuple basque. Craint, vénéré, adoré, il étend ses griffes d’ours luisantes au-dessus des vallées et des cols de la Soule, son repère sacré. Il représente l’état primordial et à peine humanisé de la civilisation. Le Basa Jaun est le père de tous les Basques et celui qui les a tirés de la vie animale. Il est le premier meunier, le premier éleveur, le premier forgeron. Ses cavernes sont des ateliers magiques d’où s’échappent les flammes, les étincelles et la fumée de ses coups de marteau. Les pics des montagnes sont pour lui les cheminées de ses demeures sauvages, au fond desquelles il veille sur ses trésors d’or et de pierreries. Autrefois, ses rugissements terrifiaient les prêtres et faisaient trembler les fidèles des églises. Parmi les nourritures favorites du Basa Jaun, les prêtres en soutane et leurs cortèges de bigotes trouvaient une place privilégiée. Il en croquait toujours quelques-unes pour se mettre en appétit. Face à la montagne gigantesque et boisée qui représentait son temple naturel, les clochers des villages se pâmaient d’effroi, comme vaincus d’avance…